42 ans d'emprise et enfin je viens à la lumière !

Week-end de Pentecôte 1981 en Belgique, j’ai 25 ans. La porte de ma chambre est ouverte, j’attends Sylvie pour rejoindre le groupe musical. Jean-Michel entre et ferme la porte. Il s’approche en silence du lit où je suis allongée. Il s’allonge sur moi sans un mot d’explication, il reste là un moment. Il se lève et il part. Je reste scotchée sur le lit, le cerveau éclaté, le corps frémissant d’effroi. Je n’ai pas compris. Tétanisée, sidérée, remplie d’émotions, je prends le chemin de la salle de rassemblement où je suis attendue. L’empreinte de ce moment reste dans mon corps pendant des heures. C’était la première fois.
Par la suite, de Paris à Biot, de rendez-vous en rendez-vous, les attouchements se font plus précis : il m’étreint, me caresse, et ça va de plus en plus loin… Je ne sais pas quoi en penser, je le laisse faire. Une petite voix intérieure me dit : est-ce que c’est ça le monde nouveau dont il nous parle ? C’est tout mélangé en moi. En même temps, je lui fais confiance. Lui, le fondateur, il a sans doute raison, il voit des choses que je ne vois pas ! Peu à peu, il devient le moteur de la relation. Il dit : « tu es une bonne fille très aimée du Père » … Il me parle de relation mystique et christique, il me dit « c’est notre secret à tous les deux, il ne faut pas en parler ».
Quand je suis en proie au doute ou fatiguée par les nombreux projets communautaires à avancer, il me fixe RV. Ces moments avec lui me reboostent, apaisent mes tensions, me redonnent confiance et énergie pour être plus disponible et pour, à nouveau, tout donner pour le bien commun de la communauté, jusqu’à l’épuisement. Ca a duré 10 ans, de Pentecôte 1981 au printemps 1991 où tout éclate !
Je me suis laissée tromper, il s’est servi de moi… J’ai été sa marionnette. Il a détourné mes projets pour réussir SES projets. J’avais toujours en moi cette question : « C’est quand que je pars avec ma guitare, pour aller chanter Jésus sur les routes, avec mon âne et mon chien ? »
Depuis 1991, ce secret a continué à m’empoisonner lentement, m’a isolée, a sournoisement tari ma relation à Jésus si spontanée et vivante depuis mes 12 ans, sans que j’en ai vraiment conscience. Je semblais vivante aux yeux de tous, mais j’étais cachée au fond de moi !
Ce n’est qu’en septembre 2023, grâce à la publication du rapport Sauvé, puis à la rencontre des femmes du collectif « Choisir la lumière », que j’ai commencé à entrouvrir la « boîte à secrets » en osant parler à quelques amis de confiance.
En avril 2024, j’ai rendez vous avec deux personnes de la CRR (Commission de Reconnaissance et de Réparation). Pour la 1ere fois je suis accueillie dans mon histoire, avec bienveillance, comme victime, et je peux nommer plus précisément ce que j'ai vécu en le qualifiant de viol et d’emprise. Durant les deux mois qui suivent, je réponds courageusement, et en toute vérité, à l’auto-évaluation envoyée par la CRR. J’accepte de basculer alors dans l’horreur de la réalité que je cachais au fond moi depuis si longtemps, et qui me tenait dans une sorte de dépression larvée, de repli sur moi, de prise de distance avec les autres, avec ma propre famille, et qui avait lentement ensablé ma relation à Jésus ! J’entre alors dans la conscience que ce poison rongeait tous les secteurs de ma vie depuis plus de 40 ans, et combien bon nombre de mes choix ont été dictés par cette emprise de Jean-Michel sur ma vie.
Si je parle aujourd’hui c’est pour mieux respirer, retrouver le bonheur de vivre avec moi-même et vieillir paisiblement. Je quitte le statut de victime pour celui de témoin : parler de mon expérience, continuer de me libérer de l’emprise de Jean-Michel, permettre à d’autres de sortir du silence, de la culpabilité et de la honte.
Sandrine