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RECIT D'UNE EMPRISE
UNE EMPRISE PROGRESSIVE...
Au printemps 1973, j’avais vingt-deux ans et je terminais une licence de lettres sur le campus universitaire encore agité par les soubresauts de Mai 68. Un jour, j'avais été invitée à une assemblée de prière du Renouveau charismatique se tenant dans une maison particulière. Cette assemblée était animée par un jeune couple autour duquel gravitait un nombre important de jeunes et un regroupement non moins important de pères et mères de famille, religieux, religieuses, prêtres ; certains venus de fort loin, parfois. Tous attirés par un nouveau style de prière fait de spontanéité et de charismes étonnants renouant avec les faits néotestamentaires célébrant, tout particulièrement, l'événement de la Pentecôte. Le 17 mai je m’ouvrais, dans ce contexte, au baptême dans l’Esprit. Et dès le 22 juin, tout en terminant ma licence, je me disposais – non sans difficultés ni luttes intérieures – à suivre le conseil pressant et enthousiaste de notre « entraîneur charismatique » d’aller passer le mois d’août dans la communauté d’Ann Arbor près de Détroit dans le Michigan. Mes réticences à entreprendre ce voyage aux États-Unis furent vite levées au cours d’une session organisée quatre jours plus tard dans la région. Portée par l’urgence d’une donation totale à Dieu, fortement orchestrée par de nombreux charismes et prophéties, j’ai dit oui, surmontant ma division intérieure et partant, tel Abraham en Hébreux 11, 8 « ne sachant où il allait. » Le 3 août, une amie déjà sur place était venue m’accueillir à l’aéroport : un mois de forte imprégnation de louange néo-pentecôtiste catholique et de vie communautaire commençait donc pour moi. Mes notes, prises au jour le jour, attestent d'une incroyable expérience qui a incontestablement fortifié ma foi et qui m'a plongée dans une vie communautaire d'un nouveau genre. J'ai rencontré là-bas de nombreuses personnes très attachantes et qui ne m'ont pas caché, je me souviens bien, les tensions et difficultés qui pouvaient avoir lieu dans les maisonnées dans lesquelles je séjournais. Nos entretiens étaient libres, confiants et amicaux. Je n'ai pas couru de risques particuliers. Juste étonnée par une communauté de femmes naturistes !... L'ambiance religieuse, voisine d'un certain illuminisme, était forte. Mais l'affectivité, moins dominante que dans le groupe de prière en France où, dès mon arrivée, j'avais été frappée par la surchauffe émotionnelle et démonstrative. Tout le monde – suivant les nouveaux usages – se faisait la bise, se prenait par la main ou le cou et s’autorisait une grande liberté de gestes au point que l’une de nous, lors d’une session PRH en mars 74, avait dit : « L’an dernier, à la communauté, les gestes d’amour me gênaient horriblement.» Mais elle avait fini par « se débloquer » comme ce fut le cas, sans doute, pour la plupart d’entre nous. Oui, on finissait par accepter des gestes qui, au départ, auraient dû être réservés à l'intimité du couple ou de la famille...Ce qui explique que, pour ma part, j’avais intégré – mais sans vraiment l’oublier –un geste audacieux de la part du fondateur qui n’avait pas hésité, bien que marié, à m’attirer entre ses jambes allongées sur la moquette de l’oratoire. Ce geste outrepassant la plus élémentaire pudeur envers une jeune fille m’avait, sans doute, fort étonnée, gênée… mais, en tout cas, pas troublée ni rendue complice. Je pense plutôt avoir paré ce geste d’une aura mystique inattendue et entrepris, en tout cas, de me dégager assez vite pour me sentir plus à l'aise, car ce n'était pas du tout dans mes habitudes de prier ni de me confier dans ces conditions ! Une nouvelle tentative de sa part ni de quiconque dans la communauté, ne s'est jamais reproduiteJe n'ai pâti, par la suite, avec lui que de son enthousiasme prophétique qu’il savait si bien nous communiquer pour nous inviter à « tout lâcher » pour la communauté et pour Dieu. Emprise indéniable qui a été à l’origine de nombreuses luttes en moi. Après un mois de grâces incontestables expérimentées à Ann Arbor, je suis donc revenue en France. Redescendue de mon « Thabor », il m'a fallu être logique avec le don reçu et...à recevoir encore. Sur les conseils du fondateur, j'ai consenti à m'engager plus radicalement envers Dieu, en renonçant notamment à faire une maîtrise de lettres. J'ai accepté aussi un petit boulot payé trois sous chez un ami de la communauté pour financer une chambre en ville non loin de la communauté. Et j'ai rejoint l'équipe des autres jeunes chargés des repas, du ménage et de la préparation des tables pour nos invités conviés à dîner avant les réunions de prière. Mes parents se sont demandé si j'étais tombée sur la tête. Pendant cette fin d'année 73 et la suivante, je leur ai causé beaucoup de soucis, car ils devaient bien se rendre compte que mes choix n'étaient pas vraiment libres, mais guidés par une « volonté supérieure » qui me forçait à dépasser mes limites et à occulter mes vrais désirs. En me voyant ainsi subjuguée, jusqu'à ne pas me rendre aux cours pour lesquels je m'étais inscrite – ce qui contrariait, je me souviens bien, mon désir d'étudier et me donnait mauvaise conscience – , ils ont tenté de me faire entendre raison, mais leur brusquerie m'a finalement irritée et éloignée d'eux. J'avais, du reste, peu de temps à leur consacrer, étant prise par la communauté, mon job et les très nombreuses rencontres et sessions PRH qui se sont enchaînées sans interruption de l'automne 73 à l'été 74. Un véritable « gavage » reçu à huis clos, et que je n’arrivais pas à assimiler, faute d’expérience personnelle, de recul et de maturité. Ce qui accentuait mon stress, c'était finalement l'utopie prophétique dans laquelle notre leader souhaitait faire entrer ces pionniers d'un Monde Nouveau que nous étions. Pionniers, sans expérience ni repères spirituels, mais destinés à bâtir une communauté du style de celle du Word of God aux Etats-Unis. Cette communauté, disait-il avec ardeur, elle appartiendrait à l'Église bien sûr, mais elle n'aurait que peu de rapport avec son usure et sa vieillesse, ses aliénations aux us et coutumes, ses compromissions de toutes sortes etc. Elle serait jeune, vivante et elle transmettrait vraiment la vie de Dieu au monde entier ! Rentrer coûte que coûte dans ce rêve de renouvellement absolu (alors que je m'en sentais devenir progressivement incapable) a pris, un soir, après la prière de louange suivie de la messe, la forme d'une véritable « torture intérieure », car je m'étais sentie soudain acculée à un avenir si lourd que je ne parvenais pas m'endormir. Avec une surprise mêlée d'une immense reconnaissance envers Dieu, j'ai constaté dans ma prise de notes de février 74 que, malgré cette tempête en moi, je n'avais pas cessé de supplier le Seigneur de m'accorder son amour depuis ma petite chambre solitaire. À mon instante et confiante prière, prononcée dans le désarroi, Dieu avait répondu, puisqu'au matin : « il faisait beau dans mon cœur » et que j'avais « cueilli mon âme pleine d'amour, de force et d'espérance pour la journée. » Et j'ai ajouté : « J'ai voulu noter cela, parce que cela m'apparaît trop extraordinaire et que je ne me le dois pas. » Ceci pour dire qu'une vie avec Dieu avait été possible pour moi dans ce contexte difficile, quoique contrariée par la prétention de l'ambitieux leader d'en remontrer à l'Église ! Cette prétention était porteuse de mort, car il utilisait la liberté de notre jeunesse « moins marquée par des schémas », pour s'autoriser toutes les critiques envers une Église considérée comme moribonde : dans ce sens, il invitait les congrégations religieuses à se laisser complètement renouveler par le courant de vie nouvelle ou... à mourir ! Son arrogance envers l'Église me blessait à un point extrême. Pour parvenir à un tel but, il préconisait, avant tout, de se construire : « Le premier appel de Dieu sur nous, ce n'est pas de nous occuper des autres, c'est de nous occuper de nous-mêmes, faute de quoi Dieu ne peut s'occuper de personne comme il le désire. » Répondant à cette injonction, j’avais donc fait une croix sur le reste. Certes, il y avait du bon à « se former » mais, cet appel ne souffrait aucun atermoiement ni concurrence. Il s'imposait au for interne et balayait du même coup tous les autres moyens de réfléchir et de croître en Dieu. Dans mon souci d’abnégation, j'affirme ainsi de façon péremptoire (dès octobre 73), que Dieu « ne veut pas » que je fasse ma maîtrise de lettres car « il me veut totalement à lui, totalement consacrée à son service, totalement livrée au souci de lui plaire. » Mais, curieusement, une petite musique en moi se rebiffe et tente de plaider la cause de mes études : « Et pourtant je comptais composer sur Blaise Pascal ! » Et je précise : « Dans mon for intérieur, je sens un petit quelque chose qui dit : mais à travers Pascal, je pourrais le rencontrer lui, Dieu...» Mais prise au piège de mon idéalisme, j'ajoute aussitôt : « Cependant Jésus me dit que c'est inutile et qu'il me faut aller directement à lui...» Pauvre Jésus auquel je fais endosser mon aveuglement ! Pour tout horizon intellectuel, je n’avais donc qu’une formation PRH à engloutir à un rythme intensif, et … progressivement … je m’épuise à devoir constamment réfléchir sur moi-même, accepter d’ »être petite » pour me recevoir d’autrui, servir les autres en préparant des repas et faire des choix de plus en plus radicaux et non conformes à mes désirs profonds. Il s'agit d'un épuisement physique mais aussi spirituel car, comme je viens de le montrer avec ma renonciation à poursuivre des études, je me mets à faire parler Dieu, au lieu de l’écouter. Je l’utilise, comme il est utilisé dans l’ambiance exaltée dans laquelle je suis plongée. Dieu est devenu le serviteur impuissant d’un projet fou dont l’inspiration tordue contriste en moi la volonté divine tout en me donnant l’illusion de la chercher. Je succombe à un mensonge dans lequel les paroles enflammées d’un gourou m’ont plongée jusqu’à la cécité intérieure. Une cécité qui touche également ma vie affective. J’hésitais encore sur mon état de vie : allais-je ou non me marier ? Mais comment aurais-je pu le discerner, vu le type de relations que nous avions entre nous ? Nous étions à la fois très proches les uns des autres, par les nombreuses analyses sur nous-mêmes et confidences partagées, et toutefois séparés assez cruellement par une forme de diktat, plus ou moins implicite, qui nous interdisait de nouer des liens durables, notamment dans le mariage. Très jeunes encore, nous étions dans les conditions de nous aimer sérieusement, et dans l’interdiction de le faire. Il est vrai que c’était par prudence, pour nous éviter des choix précipités. Mais dans ce cas, on aurait dû nous éviter bien d’autres emballements et prises de risques ! … Or, pour ma part, je me suis sentie comme précipitée dedans. Mais je ne tiens pas à faire de mon cas particulier une généralité, vu que bien des couples se sont connus et engagés dans ces communautés ou reconstruits et aimés après avoir été au bord du divorce. Pour revenir cependant à ce que j'ai vécu : de cette tension constante entre des appels très humains et le devoir de me donner « inconditionnellement » à Dieu, j'ai gardé un souvenir particulièrement âpre comme si on avait joué avec mon cœur et mes sentiments sans que je puisse m’en étonner ni même m’en défendre. Ce que je ne comprenais pas alors et qui me faisait tellement souffrir, c'est qu’il s’agissait – dans l’optique délirante du fondateur – de nous situer les uns envers les autres comme d’autres Adam et Eve, mais … avant le péché originel, autrement dit comme supposément « asexués », donc innocents et libres en tout : « Et, sur cette terre d'innocence, tout devenait possible. Tout ! Il n'y avait plus de mal, plus aucun risque d'équivoque. » Franck Le Vallois, dans Les Naufragés de l'Esprit, Des sectes dans l'Église catholique, Editions du Seuil, mai 1996.
UNE EMPRISE DESTRUCTRICE
Au bout d'un moment, par sa funeste et irréaliste prétention, ce mensonge est devenu pour moi si intolérable que j'ai vraiment pensé que je n'avais plus rien à faire dans un tel contexte de désordre et de confusion. Car précisément, je ne pouvais appréhender en moi à ce moment-là, que du désordre et de la confusion. J’étais dans le brouillard le plus absolu, gardant continence et chasteté, sans savoir que d’autres, allant beaucoup plus loin dans leur quête d’affection et d’amour … ou de jouissance pure et simple, en changeant de partenaires, si j’ai bien compris… Ainsi, les uns étaient-ils instigateurs d’un consentement pervers et pernicieux ; et les autres, ravalés au rang d’objets sexuels qu’on utilise un temps, puis qu’on abandonne. Je ne le savais pas à l'époque, mais je devais le sentir intuitivement, décodant derrière les belles prophéties d’ouverture à Dieu d’autres messages, moins avouables, qui prônaient une liberté absolue au plan des mœurs, du style : « Ici bientôt on dansera nus sur les tables ! », dans un monastère convoité par le Renouveau. Et cela me travaillait. Car je n'avais pas d'autre issue que de lever les mains au ciel pour bénir Dieu de son projet sur nous, projet grandiose mais qui n’était pas exempt de perversité. Et j’étais blessée, je le répète, de sentir ledit fondateur si assuré de son intuition prophétique qu’il en dénigrait ouvertement, mais avec une suavité désarmante, des communautés ecclésiales et religieuses qui méritaient bien notre estime et qui, aujourd’hui encore, ont toute leur place dans l’Eglise. Il n'en manquait pas, en effet, de ces membres de communautés classiques qui venaient prier, bénir Dieu et se réjouir avec nous..., mais sans doute servaient-ils davantage de caution pour faire croître son œuvre à lui, que de références vraiment fraternelles et spirituelles. Je ne dis pas qu'un émerveillement autour des charismes du Renouveau n'était pas justifié, mais je dénonce celui qui les incarnait de les avoir corrompus par sa toute-puissance affichée qui défiait Dieu, en abusant d’autrui qu’au nom même de la divinité. Faire la lumière sur la conscience qu'il en avait ne m'appartient pas. Des spécialistes auront à se pencher sur sa véritable personnalité et sur les raisons possibles de ses agissements. Je garde seulement le souvenir d'une intrication étonnante en lui entre audace, arrogance et douceur : il était finalement plus dangereux qu'il n'en paraissait. Les conséquences de ses débordements maintenant révélés me navrent. Je n'ai cependant pas voulu « remuer » tous ces faits par plaisir ni pour faire du tort. En me prêtant à cette relecture, j'ai souhaité éviter de sombrer dans l'apitoiement et le voyeurisme. J'ai voulu faire triompher, à mon humble niveau, une vérité du bien mais qui est passée, hélas, par un mal. Autant que j'ai pu, j'ai essayé de me distancer de ce qui avait pu me troubler en « feuilletant le livre de ma propre vie », comme le dit joliment le Pape François, pour y trouver quand même, des indices de la présence du vrai Dieu. A travers tout ce désordre, j’ai constaté avec joie que le Seigneur est passé dans ma vie et qu’il a construit du beau et du vrai dont il est, à mes yeux, le premier et le seul garant. Mais il n’a pas pu éviter la destruction et le trouble de beaucoup, ni de moi-même. Et c’est un vrai malheur qu’il ne faut pas oublier. On pense facilement que les événements, en se suivant, finissent par se relativiser. Mais s’ils ont été déviants à l’origine, ils en appellent d’autres également déviants. Ainsi l’emprise que j’ai vécue a-t-elle conditionné des choix que j’ai faits ensuite plus ou moins dans la précipitation et la souffrance pour arriver à retrouver un équilibre personnel et me convaincre que je faisais bien la volonté de Dieu.
UNE EMPRISE REFUSÉE ET DÉNONCÉE
L'année scolaire 74-75 en me donnant d'enseigner dans un département voisin et d'y faire de la catéchèse m'avait permis toutefois de prendre une distance bénéfique par rapport à toute cette exaltation. Les jeunes collégiens dont j’avais la charge m'avaient invitée au réalisme, et mes collègues éveillée à la réflexion et à l’engagement dans le monde. J’avais toutefois continué de participer à quelques week-ends et temps de prière avec la communauté, mais moins dans l'optique d’y recevoir une formation que d’y retrouver des jeunes épris de Dieu. Parallèlement, je me documentais sur le célibat consacré, ayant été invitée à l'entrée au noviciat d'une amie carmélite. J'avais donné la priorité à cet événement plutôt qu'à un week-end communautaire prévu à la même date en octobre 74 et qui devait constituer dans les faits : « le départ de la communauté chrétienne de formation. » Je participais toutefois à celui de novembre où, déjà, quelques idées bizarres m'avaient alertée concernant la nécessaire abolition des distances pour ne pas être « du monde » mais pour être unis à l'amour de Dieu. Et en mars 75 j’ai clairement pris conscience de l’imposture. En ce week-end, ce leader qu’il me répugne d’appeler « fondateur » s’était en effet permis – au nom de Dieu et du discernement communautaire – de mettre en avant mon manque de solidité intérieure et mes fragilités, comme justifiant un engagement nécessaire dans le groupe qui commençait à se structurer. Engagement pour lequel je ne sentais pourtant aucun appel. J'avais simplement répondu à un désir de prier avec les autres jeunes en participant à ce week-end. Mais c'est avec une autorité sans pareille qu'il m'avait adressé la parole, ne ménageant pas ses critiques ni ses jugements et ne faisant pas la moindre mention positive de mes débuts dans la vie active. À être ainsi morigénée et conviée à une obéissance radicale et injustifiée, j'ai été saisie d'un « grand trouble » dont j'ai cherché aussitôt à m'expliquer les raisons par écrit. Leur énumération m’a permis de conclure : « Je me sens atteinte dans ma liberté, rabaissée sur le plan humain eet spirituel ; peu prise en considération et comme radiographiée au nom d’un soit-disant discernement individuel et communautaire (…) Je crois que j’ai fait l’objet d’une « convoitise » , répondant à un imératif fanatique de recrutement pour l’édification d’une communauté semblable à celle d’Ann Arbor, avec des visées pures et d’autres moins pures. » Et je passe en revue ces visées, pointant en premier, parmi les impures, « l’orgueil d’être et de vouloir devenir un peuple élu, distinct de la masse endormie des chrétiens et des communautés religeuses ». Puis : « la pensée de se croire plus à même de diriger les autres, de discerner les esprits mauvais, d’être détenteurs de la puissance de Dieu. » Enfin, « l’isolement par rapport au monde, et le slogan : Rentrez dans la communauté, car elle est et devient inexpugnable à Satan. » Venant de ma petite bourgade rurale, le cartable sans doute plein de copies à corriger et de cours à préparer, je me suis indignée devant de tels propos dénigrant avec hauteur ceux qui triment courageusement et sont affrontés chaque jour aux peines et aux malheurs du monde... Peut-on les qualifier de tièdes et d'endormis, alors qu'ils sont plutôt, par leur travail consciencieux et leurs engagements, aux avant-postes d'une l'Église enfouie en pleine pâte humaine ? Je ne m'en remettais pas non plus d’avoir subi de la part du leader une telle pression outrageante et irrespectueuse. Le lendemain, je tente une formule : « Ce dont l'Église a besoin de nos jours, c'est de gens humbles qui ont touché aux racines mêmes de leur dépendance à Dieu, de leur besoin radical d'être sauvés à toute minute de leur vie. » Et le surlendemain, je m'en prends cette fois à l'idée suspecte que Satan serait en nous et entre nous « créateur de distances » et je conteste l’idée dont on m’avait abreuvée pendant ces week-ends de novembre et de mars, de devoir abolir les distances « sataniques » par le partage systématique du for interne et la transparence absolue ; et je ne savais rien encore, de cette forme abjecte de « partage » allant jusqu'à prostituer son corps..., mais que cette délirante injonction sous-tendait ! Ce qui est sûr, c'est je me pose une question tout à fait saine : n'y a-t-il pas des distances positives ?! Devant l’évidence de la réponse – et que le mouvement d'Église (issu de la communauté d'origine) formule aujourd'hui en termes clairs : « Servir son frère dans l'accompagnement spirituel, c'est […] se tenir dans une attitude de non-pouvoir qui permette à l'accompagné de prendre toute la responsabilité de son propre chemin et garantisse le respect du « for interne » […] être dans un non-savoir et dépourvu d'attentes vis-à-vis de l'accompagné [...] s'agenouiller devant son frère et respecter le sacré de sa vie etc. » – je constate qu’il ne m'est plus possible de revenir sereinement à la communauté. Je réalise qu'il me faut chercher ailleurs des appuis pour construire ma vie. Mais on ne se dégage pas si facilement que cela d’une emprise, surtout si elle a fait miroiter le désir de se donner à Dieu. De cet abus caractéristique dont j'ai été victime, va découler un préjudice dont je n'ai pas su immédiatement me distancer. Inconsciemment, j'ai dû me croire infidèle à Dieu en quittant cette communauté qui bénéficiait d'une réelle considération mais … où l’on avait cependant cherché à me soumettre. Aussi, pour retrouver un équilibre personnel – les critiques et jugements du leader m'ayant rendue plus fragile – et me convaincre que je continuais de chercher Dieu, j'ai pris ensuite des décisions assez précipitées et volontaristes, renforcées par d'autres influences. Mais ce sont mes décisions et je les assume, car elles ne sont pas non plus dépourvues de valeur ni de générosité. L’intimation à l’obéissance servile conditionne cependant une posture tenace de soumission à une image erronée de Dieu dont on se dégage avec peine. C'est pourquoi un souci désordonné de fidélité à ce Dieu à l'image pervertie m'a longtemps poursuivie et tracassée. Et certaines personnes, à m'accompagner s'y sont trompées, prenant mes recherches spirituelles pour des postures de soumission et d'entêtement, alors que j'avais déjà dépassé ce stade, mais que je ne parvenais pas à le leur faire comprendre. Sans oublier qu’une emprise peut aussi avoir un retentissement néfaste sur autrui en position d’accompagnement, s’il ne s’en protège pas avec force, amour et lucidité… C’est cela que j’appellerais le préjudice lié à un abus de pouvoir : être enfermé, apparemment, dans une posture rigide, au risque d’ignorer et de faire ignorer combien le Christ, en notre intime, ne cesse de travailler à nous en libérer. Heureusement, avec l’âge – et surtout la grâce divine -, une certaine sagesse triomphe enfin de ce désir trop humain de vouloir « faire la volonté de Dieu ». Car, dans sa bonté, le vrai Dieu que Jésus prie au fond de notre être, nous conduit – avec une extrême douceur – au cœur de notre vrai moi, y faisant exploser nos prétentions vaniteuses, pour nous faire le don précieux de la foi. Pour finir, je dirais que mon témoignage s'en prend, avant tout, à un imposteur qui a indûment pris la voix et la place de Dieu dans ma vie. Des personnes compétentes feront la lumière sur lui. Car le vrai Dieu – c'est mon expérience – ne veut pas se laisser confondre : il nous envoie des quantités de signaux pour nous alerter sur nos errances. Personnellement, il ne m'a jamais lâchée d'une semelle et il a toujours été là, même quand moi je louchais vers des idoles... Et aujourd'hui, cinquante ans après mon passage par cette communauté, il me confie un message qui donne la prééminence au Mystère pascal : Jésus, au creuset de nos vies les plus abîmées, se montre vainqueur de la mort et du péché.
« Jésus-Christ (…) n'a point régné, mais il a été humble, patient, saint, saint saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Ô qu'il est venu en grande pompe et en prodigieuse magnificence aux yeux du cœur et qui voient la sagesse ! » Pascal, Pensées (Lafuma n°308)
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